Lors des évaluations environnementales, diagnostics et études d’impacts, l'écologue intervient sur le terrain pour réaliser des inventaires naturalistes, visant à recenser les espèces présentes et à collecter des données précises comme le nom des espèces, la date, le lieu d’observation etc...
Ces informations sont enregistrées sur divers supports, mais cette collecte ne se limite pas à une simple tâche technique : elle porte une dimension éthique essentielle. En effet, la présence humaine dans des milieux naturels, souvent à des moments clés du cycle de vie des espèces, peut être une source de dérangement pour les espèces.
Les écologues sont souvent guidé.es par leur passion pour la nature et leur désir de comprendre les écosystèmes et de les protéger. Cependant, la quête de données exhaustives peut parfois entrer en conflit avec les principes éthiques qui devraient guider l'intervention sur le terrain. En effet, les délais souvent restreints liés au temps alloué sur le terrain et l’objectif de collecter un maximum d’informations peuvent mettre en arrière-plan la dimension de l’impact de la collecte sur l'environnement, mettant en jeu la responsabilité éthique du naturaliste.
L’écologue intervient souvent dans des milieux fragiles, comme les zones humides, les cours d’eau, où les cycles de reproduction et les comportements des espèces sont sensibles aux perturbations. Plusieurs risques de dérangement existent, tel le piétinement d’habitats sensibles, la capture ou la manipulation d’animaux, ainsi que l’utilisation de méthodes intrusives (pièges barber, filets de capture) qui peuvent induire un stress chez les individus. La capture d’animaux pour des études ou des marquages, si elle est mal conduite, peut entraîner des blessures (les orthoptères et certains reptiles par exemple pratiquent la mutilation reflexe en cas de capture), des perturbations comportementales, la transmission de certaines maladies, et même la mort.
De plus, certaines interventions, notamment pendant la saison de reproduction ou la nidification, ou même l’hibernation en ce qui concerne les chiroptères peuvent entraîner des conséquences dramatiques pour la survie des individus.
Ces risques sont exacerbés par l’utilisation de techniques qui génèrent du bruit ou perturbent les cycles biologiques, ainsi que par l’introduction potentielle de maladies et de parasites à travers la manipulation des individus, en particulier les amphibiens (Sandor et al., 2024)
Ainsi, la responsabilité de l’écologue est de limiter ces perturbations au maximum, en choisissant en priorité des méthodes de collecte non intrusives si possible et non léthales, en veillant à minimiser toute forme de stress ou de risque pour les populations étudiées.
Certaines espèces, en particulier celles protégées ou jugées prioritaires, sont souvent mises en avant lors des inventaires, tandis que d'autres, moins visibles ou considérées comme "communes", sont négligées. Cette hiérarchisation des espèces peut aboutir à une vision réductrice de la biodiversité, ignorant des groupes comme les invertébrés pourtant essentiels à l'équilibre des écosystèmes.
Nos connaissances sont ainsi profondément biaisées : certaines espèces, comme les oiseaux ou les plantes à fleurs, sont mieux étudiées que d'autres groupes, comme les champignons, les araignées et autres arthropodes qui quand ils sont étudiés le sont très souvent par manière léthale et très intrusive (Lövei et al., 2023).
Il est crucial de ne jamais sous-estimer l’importance de toute forme de vie, quel que soit son statut, de ne pas occulter l’individu vivant au profit de la donnée. Le respect de la biodiversité doit guider chaque intervention sur le terrain, car chaque espèce, même peu perceptible, joue un rôle vital dans l'équilibre écologique de son milieu.
La déontologie du naturaliste sur le terrain ne se limite pas à la collecte exhaustive de données, mais inclut une réflexion éthique sur l'impact de cette collecte. Certes, les précautions, voire les soins déployés par les naturalistes s’appuient sur des apprentissages très précis, articulés à des connaissances fines (périodes les plus favorables à l’observation, comportements éthologiques spécifiques, biologie des espèces…). Néanmoins, l’écologue doit être conscient des risques qu’il impose à l’environnement et aux espèces, et s’engager à minimiser ces impacts pour respecter l’intégrité des écosystèmes. Respecter la vie sous toutes ses formes et garantir un équilibre fragile entre observation scientifique et protection de la biodiversité sont au cœur de la mission de l’écologue sur le terrain.
« Un écologiste est quelqu'un qui a conscience, humblement, qu'à chaque coup de cognée il inscrit sa signature sur la face de sa terre » (Leopold et al., 2017)
Bibliographie :
Leopold, A., Gibson, A., & Schwartz, C. W. (2017). Almanach d’un comté des sables suivi de Quelques croquis. Flammarion.
Lövei, G. L., Ferrante, M., Möller, D., Möller, G., & Vincze, É. (2023). The need for a (non-destructive) method revolution in entomology. Biological Conservation, 282, 110075. https://doi.org/10.1016/j.biocon.2023.110075
Sandor, C., Matutini, F., Anouk DECORS, U., Cardoso, O., Sentenac, H., Larrat, S., Pozet, F., Berthet, M., & Palumbo, L. (2024). Biosécurité en milieu humide : Bonnes pratiques d’intervention sur les amphibiens sauvages. Naturae, 2024(14). https://doi.org/10.5852/naturae2024a14
Rédaction : Mathieu Thouement - mars 2025
Photo : Erwan Joyeux