Zoom sur les Chauves-souris

Biodiversité

Les chauves-souris…elles en effraient certains, elles en fascinent d’autres. Ces petits êtres volants aux particularités étonnantes sont encore aujourd’hui entourés d’une brume de mystère. Les scientifiques estiment qu’environ 1200 espèces (dont 35 en France métropolitaine) sont réparties à travers le monde mais toutes n’ont pas encore été décrites : Myotis nimbaensis est une espèce découverte en janvier 2021 ! Parmi ces mille et quelques espèces, on peut trouver des individus comme la Chauve-souris bourdon (Craseonycteris thonglongyai), le plus petit mammifère au monde (3 cm) ne pesant que 2 g mais aussi des organismes comme la Roussette de Malaisie (Pteropus vampyrus) avec ses 1,70 m d’envergure pour un poids aux environs de 1,5 kg. Rassurez-vous, ces deux espèces ne se trouvent qu’en Asie, la plus grande chauve-souris que l’on peut croiser par chez nous est la Grande Noctule (50 cm d’envergure, 60 g) et la plus petite sera la Pipistrelle pygmée (19 cm, 3 g).

La classification au sein de l’ordre des Chiroptères est en constante évolution, pour faire simple, on peut distinguer le sous-ordre des Mégachiroptères et celui des Microchiroptères. Le premier regroupe essentiellement les roussettes, chauves-souris de grande taille avec de grands yeux et un long museau (ressemblant à celui du renard tant et si bien qu’elle est appelée flying fox en anglais) ayant un régime végétarien (frugivore ou nectarivore). Les Microchiroptères – les seules présentes en Europe – regroupent 4 familles principales :

  • Les Rhinolophidés
  • Les Molossidés
  • Les Minioptéridés
  • Les Vespertilionidés

Ce sont généralement des organismes de petite taille (en moyenne 4 à 16 cm de long) s’appuyant davantage sur leur ouïe que sur leur vue pour chasser. En ce sens, elles ont des yeux plus petits que ceux des Mégachiroptères mais des oreilles plus développées.

Quelques éléments de biologie...

Appartenant au groupe des mammifères (oui, comme nous !), ce sont les seuls de ce taxon étant capables d'un vol actif (en grec, « chiro- » = main et « –ptère » = aile). En effet, leurs membres sont plus proches des nôtres que de ceux des oiseaux : le patagium (la membrane leur permettant de voler) relie les doigts au reste du corps. Cette main ailée est constituée des mêmes os que ceux des mains humaines. Les ailes très fines et vascularisées des chauves-souris sont très sensibles aux mouvements d’air, et permettent ainsi un vol agile. Elles servent également à la régulation thermique : elles isolent thermiquement l’animal au repos et permettent d’abaisser la température de l’animal en vol en servant de surface d’échange.

De la même manière que certains mammifères marins peuvent le faire dans l’eau, les Chiroptères – et plus précisément les Microchiroptères – usent de l’écholocation pour communiquer, chasser et se repérer dans l’espace. En quelques mots, l’écholocation, qu’est-ce que c’est ? Les Chiroptères « crient » en volant, ce qui leur permet d’évaluer la distance et d’identifier dans une moindre mesure l’obstacle ou la proie en analysant l’écho du cri qu’elles émettent. Les sons émis en vol sont des ultrasons inaudibles par l’Homme, dans des fréquences allant de 9 kHz à 120 kHz et heureusement pour nous car les chauves-souris criant le plus fort peuvent atteindre des niveaux sonores de 140 dB, soit un son plus fort encore qu’un avion au décollage (130 dB environ).

Comme dit précédemment, bien qu’associées aux vampires, les chauves-souris européennes se nourrissent uniquement d’insectes (pour garder une part de frissons, sachez tout de même que trois espèces sud-américaines sont hématophages en plus d’être insectivores). Leur mode de vie favorise l’accès à la nourriture : en volant, elles ne sont pas en compétition avec les autres mammifères au sol et, en vivant la nuit, elles ne sont pas concurrencées par les oiseaux. Seuls le Hibou petit-duc et l’Engoulevent d’Europe, oiseaux respectivement nocturnes et crépusculaires, peuvent rivaliser sur ce point. Ce mode de vie aérien et nocturne leur permet également d’éviter bon nombre de prédateurs (la Chouette hulotte, la Chouette effraie ou encore la fouine ou le chat domestique).

Vous l’aurez peut-être remarqué, la période d’activité des Chiroptères se limite essentiellement entre mars et octobre. Elles ont donc un cycle biologique lié aux saisons et aux périodes d’activité de leurs proies. Pendant l’automne a lieu l’accouplement ainsi qu’une chasse intensive pour la constitution des réserves de graisses en prévision de l’hibernation à venir. A l’arrivée des premiers froids, les chauves-souris se trouvent un site à température stable et à hygrométrie élevée pour hiberner (grottes, caves, fissures, cavités d’arbres, …). Au printemps, on observe un transit vers des sites de reproduction : ce sont des abris calmes, sombres comme des greniers, des clochers ou des troncs d’arbres. Alors que les mâles vivent en solitaires, les femelles se regroupent en colonie pour former une grande nurserie au sein de laquelle elles mettent bas et élèvent leur unique petit jusqu’au mois d’août où ils seront autonomes (seulement la moitié des juvéniles survivent jusque-là).

On admet généralement une durée de 6 à 8 semaines de gestation chez la chauve-souris à compter de la fécondation… Comment une copulation en automne peut-elle donc donner lieu à une mise-bas en été ? C’est en réalité une autre particularité des Chiroptères : lors de la copulation, l’ovogenèse n’est pas finalisée chez la femelle. Les spermatozoïdes sont donc conservés dans les organes reproducteurs (oviducte et utérus) pendant toute la phase d’hibernation ! Lorsque les conditions idéales (température élevée, nourriture abondante, nurserie établie) sont atteintes, la membrane du sac à sperme se rompt et la fécondation s’opère.

Et donc, pourquoi s’intéresser aux chauves-souris en écologie ?

Dans un premier temps, parce qu’elles nous rendent de nombreux services écosystémiques. En n’étant pas sélectives sur la nature de leurs proies, et en consommant jusqu’à la moitié de leur poids chaque nuit, elles ont un rôle important dans le maintien de l’équilibre de l’écosystème : les Chiroptères permettent la régulation des populations d’insectes nocturnes. En découlent divers avantages : elles consomment certains vecteurs de maladies pour l’Homme (moustiques) et donc permettent aussi d’endiguer certaines invasions biologiques (consommation de jusqu’à 2000 moustiques tigres/nuit/individu). De plus, ce sont des prédateurs importants des ravageurs des cultures (certains papillons de nuit, etc.) et leur présence dans les agrosystèmes équivaut à un véritable insecticide naturel. Pour rester dans le cadre agricole, sachez que le guano (leurs excréments) sert à la production d’engrais azotés pour les champs ; et à titre d’anecdote, ce guano se vend aux alentours de 10€/kg.

On observe depuis plusieurs années un déclin important des populations. Sur les 35 espèces présentes en France métropolitaine, 16 sont classées sur la Liste rouge des espèces menacées de l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN), le reste des espèces étant sujettes à une préoccupation mineure ou faisant l’objet de données insuffisantes. A noter que l’ensemble des espèces est protégé par la loi :

  • Par le Code de l’Environnement depuis 1976 (article L.411-1) au niveau national ;
  • Par la Directive Européenne Habitats-Faune-Flore (CEE n°92/43, Annexes II et IV) ;
  • Par la Convention de Bonn (ratification de la France en 1989), par l’Accord EUROBATS (1991) et par la Convention de Berne (1985) au niveau international.

Les chauves-souris ont une faible fécondité et les femelles ne donnent naissance, pour la plupart, qu’à un seul petit par an. Les populations n’ayant pas un renouvellement très important sont donc très sensibles à toute perturbation. Malgré le fait que la loi tente de protéger les individus ainsi que leurs habitats, on observe diverses sources de pression pesant sur les Chiroptères en France :

  • L’aménagement du territoire qui mène à la modification ou la destruction des sites de reproduction, de transit ou d’hibernation
  • La fragmentation des habitats entraînant la rupture des routes de vol
  • La mortalité par collisions au niveau des axes routiers et des parcs éoliens
  • La diminution des terrains propices à la chasse (zones de pâturage, espaces verts, bocage…)
  • La pollution lumineuse : création de barrières infranchissables par peur des prédateurs, perturbation du cycle naturel et de la répartition des proies (les insectes sont attirés par la lumière bleue)
  • Les traitements chimiques qui les empoisonnent (ex : le traitement des charpentes par le DDT, insecticides
  • La raréfaction des ressources alimentaires
  • La perturbations endocriniennes et immunologiques des individus
  • Des épisodes d’épizooties
  • Tout dérangement lors de l’hibernation ou de la reproduction peut être fatal à une colonie soit par consommation trop rapide des réserves graisseuses lors d’un réveil ne permettant pas aux individus de passer l’hiver, soit par un déplacement prématuré de la nurserie.

Zoom sur les chiroptères en Bretagne

La Bretagne accueille 21 espèces sur les 34 que l’on peut trouver au sein du territoire français. Le Plan d’Action Régional « Chauves-souris de Bretagne » (2008-2011) a permis d’établir que, depuis les années 2000, les populations de la région étaient stables voire en augmentation !

Parmi ces 21 espèces bretonnes, 5 sont quasi-menacées et 3 ont un statut vulnérable.

La Bretagne est propice à certaines espèces du fait de son climat alors que d’autres espèces trouvent les températures un peu trop faibles à leur goût. La Bretagne c’est aussi un bon nombre de zones protégées, pas forcément spécifiques pour la protection des Chiroptères mais qui leur sont favorables. Pour vous donner quelques chiffres :

  • 73412 ha de Zones Naturelles d’Intérêt Ecologique, Faunistique et Floristique, soit 3% du territoire.
  • 29 arrêtés préfectoraux de protection de biotope concernant des sites abritant des colonies de nombreux individus ou d’espèces rares.
  • 28 sites Natura 2000 fréquentés par des chauves-souris et même un site « Natura 2000 Chiroptères » dans le Morbihan qui abrite 9 gîtes.

Quelles méthodes pour étudier les chauves-souris ?

Différentes méthodes peuvent être utilisées pour l’étude des Chiroptères. Des prospections peuvent être faites à vue en visitant les sites propices à l’installation des individus soit en cherchant des indices de présence (guano, traces d’urine, …), soit en observant directement les individus au repos. Des suivis réguliers des sites potentiels et surtout des sites avérés permettent d’évaluer leur préservation et d’obtenir des informations sur les colonies : évolution des effectifs, succès reproducteur, état de santé… Ces prospections permettent d’effectuer :

  • En été :
    Des comptages à vue lors du repos diurne
    Des comptages lors de l’envol (sortie de la colonie pour chasser au coucher du soleil)
  • En hiver :
    Des comptages à vue lors de l’hibernation

Pour limiter au maximum le dérangement des colonies, des caméras infrarouges peuvent être placées dans le gîte. Cela a également l’avantage d’apporter des informations sur le comportement social des individus.

Sur le terrain, l’écoute peut également être un bon moyen d’évaluer l’activité des espèces mais elle permet également une identification des espèces et donc de la diversité. On distingue deux méthodes principales :

  • L’écoute active : l’observateur, muni d’un détecteur d’ultrasons, prospecte une zone définie et identifie les espèces rencontrées. L’identification peut donc être faite sur site et si des incertitudes persistent, le détecteur permet souvent d’enregistrer les sons détectés pour une analyse plus poussée grâce à un logiciel spécialisé.
  • L’écoute passive : elle consiste à installer un détecteur à enregistrement automatique pendant plusieurs nuits qui enregistre donc l’ensemble du spectre des fréquences. L’analyse du gros volume d’enregistrements est fastidieuse et comporte beaucoup de sons non émis par des chauves-souris mais cette méthode est efficace pour quantifier une activité globale sur un site.

L’identification des espèces par analyse des ultrasons se fait notamment par la forme des « clics » pour une identification du genre. Pour pousser au niveau de l’espèce, il faut davantage s’intéresser aux gammes d’émissions (fréquence).

D’autres méthodes sont aussi utilisées :

  • La capture grâce à des filets permettant d’obtenir des données sur les organismes : âge, sexe, taille, parasitisme…
  • La télémétrie : des micro-émetteurs (≤ 5% du poids de l’animal) sont placés sur quelques individus capturés pour suivre leurs déplacements
  • Le baguage : permet comme la télémétrie de suivre les déplacements des individus mais sur le long terme. C’est une méthode très utile pour étudier les migrations et la dispersion des juvéniles.

Pour rappel, il est interdit par la loi de les capturer, manipuler, déranger… Il s’agit donc pour ces trois dernières méthodes d’obtenir en amont les autorisations nécessaires.

L’étude des chauves-souris est donc très utile à leur préservation puisqu’elle permet d’identifier les sites d’intérêt (gîtes, terrains de chasse, de reproduction, routes de vol…) ainsi que les nuisances affectant les colonies et de quelle manière. Ces études sont également indispensables pour la prise en compte des enjeux de conservation lors de nouveaux projets d’aménagement.

Rédaction : Célia Remtoula

Illustration : The Wild Beasts of the world, London. Collection Biodiversity Heritage Library, domaine publique.